Antharra

Antharra

Samedi 16 août 2008 à 17:10




19 août 1944: les Alliés parachèvent leur victoire en Normandie, ils viennent de débarquer en Provence. Dans la capitale, la Résistance déclenche l'insurrection. 26 août: le général de Gaulle descend les Champs-Elysées en vainqueur. Entre ces deux dates, Paris joue son destin. Pour L'Express, l'historien Pierre Miquel raconte ces folles journées d'angoisse et d'espoir, de combats et de libération

Un 15 août 1944 triste comme un jour d'enterrement! Il fait beau pourtant, mais la chaleur est lourde, accablante. La rue est vide, sauf d'Allemands. Place de l'Opéra, devant la Kommandantur, la Wehrmacht défile, triste et sale, cherchant la route de l'Est sur les panneaux blancs aux inscriptions gothiques plantés aux carrefours. Dans des camions verdâtres, capotés de branchages, les «vert-de-gris» rentrent chez eux, embarquant leurs «souris grises».

Le métro est le seul endroit frais, le refuge des habitants en cas d'alerte, quand le ciel se piquette de milliers de petits avions lumineux, qui larguent des kilomètres de serpentins argentés, comme pour une fête. On se cache alors dans les abris et, parfois, la nuit, dans le métro.
La Liberation de ParisEntretien avec Christine Levisse-Touzé, directrice du Mémorial du maréchal Leclerc et de la Libération de ParisAuteur

Le Führer n'est pas fumeur: «Rauchen verboten» dans les rames d'où sortent encore, des wagons rouges de la première classe, nickel, les officiers aux bottes noires cirées par leurs ordonnances. Restons corrects. Ils sont encore là, les frisous. Le Sénat, le Luxembourg sont verboten. Ils ont coulé dans le jardin le béton gris et déjà sale d'un bunker. Verboten aussi la caserne des gardes républicains, à la République, et les hôtels Majestic et Meurice, quartier général du commandant du Gross Paris, le général von Choltitz. La Gestapo torture toujours rue Lauriston et à son siège de la rue Leroux; 37 otages viennent d'être fusillés dans le bois de Boulogne et les miliciens vêtus de noir, la mitraillette au côté, veillent à la porte de leur caserne du lycée Saint-Louis.

Tout se détraque. Le ravitaillement n'arrive plus. Il faudrait quitter Paris, se cacher en province, dans la famille. Mais les trains, même de banlieue, sont hachurés de rafales de mitrailleuse. Le triage d'Austerlitz a sauté le 14 juillet, à Villeneuve-Saint-Georges, dans une nuit d'orgie de balles traçantes. Celui de Chelles est sans cesse attaqué. Les Parisiens sont prisonniers de Paris.

Soudain, le 19 août, à partir de midi, le crépitement de quelques mitraillettes dans tous les quartiers en même temps. Une rafale sur les quais, une autre dans le XXe, des coups de feu qui se répondent, se croisent, les volets s'ouvrent, les jalousies se lèvent: ces jeunes en armes portent le brassard tricolore, ils courent, demandent de l'aide, placardent des affiches signées du nom d'un mystérieux Rol, qui s'intitule «colonel chef régional». Paris veut se libérer lui-même. Il en a marre d'attendre.

Le tac-tac des mitraillettes exprime la joie d'en finir, de purger d'un coup la ville de ses miasmes. Puisque les chleuhs battent en retraite, il suffit de précipiter le mouvement. Paris attend les Alliés depuis trop longtemps. On sait qu'ils ont gagné en Normandie, qu'ils sont à une étape de la capitale, qu'ils ont débarqué en Provence. On les espère follement dans Paris et ils ne viennent pas. Alors, vive les FFI!

Ils ont le courage d'exprimer leur impatience, de faire le boulot eux-mêmes. Les vieux descendent dans la rue, et les réfractaires du STO qui se cachent, et les grévistes de Renault. Ils lisent les affiches, demandent des armes. On leur donne des pelles et des pics, pour dépaver les rues le moment venu. Paris retrouve les gestes des révolutions.

Ceux qui tirent dans la rue sont préparés depuis plusieurs semaines à l'insurrection. Elle été longuement mûrie par le Comité français de Libération nationale (CFLN) ainsi que par le Conseil national de la Résistance (CNR). Au cours d'une de leurs ultimes réunions, présidées par Alexandre Parodi et Georges Bidault, un plan d'action a été décidé en coordination avec l'ensemble des groupes de résistance intérieure.

Rol-Tanguy, ce Morlaisien ancien combattant des Brigades internationales, a l'expérience des combats et de la guérilla urbaine. Il a contacté la police, la gendarmerie, les pompiers, les gardes mobiles et jusqu'aux gardiens de prison - qui disposent de 20 000 armes légères - pour les mettre dans le coup, aux côtés de ses propres unités, qui savent attaquer les chars et disposent d'une centaine de fusils-mitrailleurs. Une aubaine: le 18 août, 150 tonnes d'armes tombent entre les mains des FFI. Pas de bataille rangée à prévoir, mais la conquête du terrain par petits groupes de huit hommes et la paralysie totale des moyens de communication de l'ennemi.
60e anniversaire de la Libération de Paris

Les chaînes se mobilisent en souvenir du 25 août 1944, qui marque l'affranchissement de Paris du joug allemand. TF 1 transmet en direct la commémoration qui se déroulera sur le parvis de l'Hôtel de Ville, en présence de Jacques Chirac et de Bertrand Delanoë (le 25 à 18 heures). France 3 montrera, elle, les images du défilé conçu par Jérôme Savary (le 25 à 16 h 50). Arte diffuse, à 20 h 45, Paris sera-t-il détruit?, documentaire de Michael Busse qui explique comment la capitale a finalement été épargnée par les troupes allemandes. France 5 a la programmation la plus complète, et propose quatre documentaires différents, dont l'excellent Cécile Rol-Tanguy: une combattante de la liberté, de Patrick Barbéris (le 26 août à 15 h 45). L'épouse du colonel Rol-Tanguy a rencontré son mari en 1936. Elle avait 17 ans, travaillait comme dactylo; lui avait onze ans de plus, et était ouvrier métallurgiste et syndicaliste. Leur amour dura jusqu'à la mort d'Henri, en 2002. Soixante-six ans d'une union marquée par l'engagement et le courage. A l'entendre, tout ce qu'ils ont fait dans la Résistance s'est imposé à eux avec «évidence». Ils furent héros parce qu'il le fallait, «tout naturellement». C'est ce que Cécile Rol-Tanguy raconte à la caméra avec une simplicité, une humilité, une pudeur qui forcent le respect.

par Laurence Debril

Le 19 août, les gardiens de la paix se rallient et rejoignent les 300 combattants qui attaquent les camions allemands rue Saint-Jacques, sur les quais, place Saint-Michel. Un fusil-mitrailleur est en batterie au café du Départ, la préfecture est transformée en fortin. Trois chars s'y présentent: l'un d'eux est en flammes; les deux autres détruisent le portail, pénètrent dans la cour. Le premier est attaqué à la grenade, le troisième s'enfuit. Place d'Italie, place de l'Odéon, les camions allemands flambent. La mairie de Neuilly est prise d'assaut: la bataille de Paris est engagée.

Mais la réussite n'est pas assurée. Le général Dietrich von Choltitz dispose d'un arsenal de plus de 80 chars, parmi lesquels une vingtaine de Panthère et de Tigre, une cinquantaine de canons et surtout quelques unités de Waffen SS rompues au combat.

Les ordres de Hitler? Paris ne doit, en aucun cas, tomber entre les mains des Alliés. Si von Choltitz cède à une insurrection, la Wehrmacht ne pourra plus assurer son repli devant le rouleau compresseur américain. Paris est donc un point stratégique. S'il doit l'abandonner, le général von Choltitz détruira la ville et surtout ses ponts, méthodiquement dynamités.

Les habitants commençaient à redouter le pire face à l'amoncellement des nuages de destruction. Un formidable orage éclaterait bientôt et l'on s'inquiétait déjà des rumeurs de bombardements et de cette situation d'otages que les Allemands n'allaient pas manquer de faire subir aux habitants.

Les Alliés? Rol a pris l'initiative de leur déléguer un officier, Trutié de Varreux, pour expliquer la situation. La camionnette de boucher utilisée pour la mission a été mitraillée par un avion américain. Eisenhower apprend sans plaisir, le 20 août, le déroulement de l'insurrection. La perspective d'une bataille de rue le heurte. Le soutien logistique ne lui paraît pas suffisant pour envisager d'approvisionner en vivres une ville comme Paris pendant plusieurs semaines, ce qui reviendrait à subvenir aux besoins de huit divisions d'infanterie. Rien ne laisse prévoir le 20 août une aide rapide des Américains. Ils préfèrent contourner la ville, l'isoler, et poursuivre droit vers l'est.

Les Allemands contre-attaquent, lancent les chars dans les rues, investissent la préfecture, qui manque de munitions. De Londres, Chaban, délégué militaire du général Koenig (avec, à 29 ans, le grade de général), est venu se mettre à la disposition du délégué général du gouvernement provisoire de la République française, Alexandre Parodi. Ils obtiennent du CNR un vote en faveur d'une trêve négociée par le consul de Suède, Raoul Nordling. Un accord est possible, parce que Choltitz redoute d'avoir à faire sauter Paris et que les résistants peuvent ainsi bénéficier d'un délai pour se réorganiser, se renforcer et surtout décider les Alliés à intervenir.

Du dimanche 20 au matin au 21 août au soir, les combats cessent, bien que les chefs de la résistance armée protestent contre la trêve et que les escarmouches se multiplient. Rol a transféré son PC dans les catacombes de la place Denfert. Il constate que les Allemands profitent de la trêve pour se concentrer autour du Palais-Bourbon, du Sénat et des Tuileries. Faute d'armes lourdes, il donne l'ordre de fabriquer des bouteilles incendiaires contenant trois quarts d'essence et un quart d'acide sulfurique. Un char est aveugle, explique-t-il, et il s'embrase comme une allumette.

Il songe de nouveau à entrer en contact avec les Alliés. Il ignore que de Gaulle, débarqué à Cherbourg le 20 août, a rencontré près du Mans Eisenhower avec Leclerc. Le chef américain confirme seulement que la 2e division blindée de Leclerc sera la première à entrer dans Paris, mais «lorsque le moment sera venu».

Rol, ne voyant rien venir, délègue le commandant Gallois, de son état-major, qui réussit à franchir les lignes, à rencontrer Patton et Leclerc à Laval. Le 21 août, les troupes américaines avancent jusqu'à 20 kilomètres de Paris. Eisenhower a-t-il oublié sa promesse? Leclerc envoie un détachement léger sur Versailles, aux ordres de Guillebon, opération couverte par de Gaulle. Le 22 août, en fin d'après-midi, Eisenhower a reçu une lettre à cheval du Général. Il se concerte avec Bradley, commandant en chef du front de l'Ouest. Après une longue conférence, Bradley grimpe dans son Piper, rejoint Leclerc et lui dit: «C'est d'accord, foncez sur Paris!»

Les Parisiens l'ignorent. Ils apprennent que la reprise des combats a été décidée par la Résistance le 22 août à 16 heures. Ils sont mobilisés par les affiches et l'ordre donné par Rol aux «hommes, femmes et enfants» de construire des barricades. Il s'agit d'empêcher la circulation rapide des chars dans Paris.

Et les barricades surgissent partout, construites par des milliers de civils, à la hâte. Elles sont faites de moellons, de pavés, de bordures de trottoir, de triangles de béton découverts à la gare des Invalides, de grilles de fer entourant les arbres, qui doivent êtres abattus, sur les avenues. Même les petites rues doivent êtres gardées par des chicanes. Il faut multiplier les pièges à tanks. La grande barricade de la rue Danton, près de la place Saint-Michel, ne laisse rien passer. Un camion détourné éventre un magasin. Des hommes munis de bouteilles d'essence et des tireurs munis de FM sont postés dans des niches. La bataille fait rage toute la journée du 22. Paris se dresse, unanime, et attend la bataille ultime, et aussi les Alliés.

Les Parisiens n'ont plus d'eau ni de ravitaillement. Les femmes accouchent chez elles, sans lumière, parfois sans aide médicale. Des combattants de 16 ans sont blessés sur les barricades. Le 23 août, une colonne allemande sur les Champs-Elysées est prise sous le feu des FFI. Riposte des chars Tigre: le Grand Palais est incendié. La bataille est vive, jusqu'en banlieue.

Mais la presse de la Libération est déjà distribuée. Si les Parisiens n'ont pas de pain, ils ont des nouvelles. Elle adresse de nouveaux appels à la mobilisation. Une grande partie des quartiers de la capitale est libérée et l'événement est proche, assurent les rédacteurs: des éléments avancés de Leclerc roulent dans la vallée de Chevreuse et à Longjumeau.

Le 24 août, le gaz est coupé. Qu'importe! Le canon tonne plus fort, les Alliés approchent. Leclerc s'active. Il a démarré le 23 au petit matin, organisant la marche de ses 16 000 hommes répartis sur 200 chars et 4 200 véhicules, soutenue par l'infanterie américaine du général Barton, qui va traverser Paris de part en part, depuis la porte d'Orléans jusqu'à Vincennes.

Des accrochages durs en banlieue. La colonne principale de Billotte fonce par Arpajon et Sceaux. Objectif? Le Panthéon. Celle de Langlade s'oriente vers le pont de Sèvres. Par téléphone, le PC de Rol suit la progression heure par heure. Massu franchit la vallée de la Bièvre. Dans sa colonne, l'aspirant Zagrodski et son frère sont tués d'une balle dans la tête, sur la tourelle de leur Sherman, par des miliciens tirant des toits. A Meudon, deux chars sont touchés. A Wissous, à Morangis, les combats font rage. Il faut renoncer à enlever la Croix-de-Berny, et passer par Fresnes.

Exaspéré par ces retards, Leclerc fait décoller un Piper, qui survole la Seine à basse altitude et lance un message lesté, récupéré quai du Marché-Neuf, le 24 août à 17 h 15: «Le général Leclerc vous fait dire: Tenez bon! Nous arrivons!» Puis il ordonne au capitaine Raymond Dronne, 9e compagnie du régiment de marche du Tchad, de «rentrer dans Paris par où il voudra», avec un petit détachement. Guidé par un civil à travers les rues, Dronne arrive à 21 h 22 place de l'Hôtel-de-Ville. On lit sur son engin l'inscription: «Mort aux cons!» On assure que de Gaulle aurait plus tard commenté: «Vaste programme!»

La radio libérée annonce la nouvelle, les cloches sonnent, la foule se répand dans les rues pour voir les libérateurs et chanter La Marseillaise, alors que les combats se poursuivent.

Reste à réduire les nids de résistance. Les victimes sont nombreuses chez «les Leclerc» et les FFI qui les guident. Le jeune cuirassier Arnould meurt à 20 ans devant le Sénat. Son jeune frère, élève au lycée Henri-IV, ne le reverra plus. A la caserne de la garde républicaine, place de la République, les Allemands résistent férocement. Les pertes totales sont de 130 tués et 300 blessés dans les rangs de Leclerc, 500 tués et 1 000 blessés pour les FFI, 400 morts civils et plus de 5 000 blessés.

La libération n'est pas achevée, elle est seulement en cours. Billotte passe par la préfecture de police et suit la rue de Rivoli, où les FFI tiraillent, cachés derrière les arcades. Le groupement Langlade passe par l'Etoile, s'accroche avenue Kléber avec la Wehrmacht, atteint la Concorde, rejoint Billotte. Un autre détachement attaque l'Ecole militaire, dont la porte est enfoncée par un char. Un dernier groupement, avec Leclerc, gagne la gare Montparnasse, où le général installe son PC, et poursuit jusqu'à la Chambre des députés, où patrouillent des Panthère. Le Luxembourg et le bunker du Sénat sont investis.

Les hommes de Leclerc s'engouffrent dans l'hôtel Meurice, s'emparent de von Choltitz, qui se rend à 15 heures. Il est introduit une heure plus tard à la préfecture. En half-track, le général allemand est ensuite conduit au PC de Leclerc à Montparnasse, pour la séance des signatures, auxquelles s'ajoute celle de Rol-Tanguy. De Gaulle survient. Il s'étonne. Pourquoi avoir fait signer le colonel? Leclerc fait état de l'accord de Chaban et le Général finit par féliciter tout le monde, ce qui permet à Jean Marin de dire au micro de la BBC: «Le général allemand commandant la région du grand Paris vient de capituler entre les mains du général Leclerc et du commandant des Forces françaises de l'intérieur.»

Et la fête commence! Plus de couvre-feu, les prisons sont vides, Drancy est libéré, les bals reprennent, spontanés, avec les Leclerc et les Américains encensés, embrassés, pressés de toutes parts. Qui n'a connu la joie de cette soirée n'a rien vu.

De Gaulle est à l'Hôtel de Ville, où il crie: «Vive la République!» Comme si elle n'avait jamais cessé d'exister. Le lendemain, il descend les Champs-Elysées à pied, Bidault, président du CNR, à ses côtés, dans une marée enthousiaste qui l'acclame. Il se rend ensuite à Notre-Dame pour y entendre un Te Deum dans la cathédrale, où la foule s'est engouffrée. Des coups de feu éclatent: des miliciens embusqués tirent de la galerie d'en haut. La nef se vide dans la bousculade. De Gaulle continue à chanter, seul, pendant qu'on chasse les «salopards».

Panique sur le parvis, où Rol et Leclerc s'étonnent de cette fuite insensée. Panique dans la nuit quand quelques bombardiers de la Luftwaffe parviennent à faire sauter la halle aux Vins, provoquant un incendie spectaculaire. Des bombes seraient tombées sur l'hôpital Bichat. Dernier «cadeau» des nazis en retraite.

Paris garde les stigmates de la bataille: rues défoncées, barricades à peine enlevées, voitures incendiées, chars échoués. Les hommes de Leclerc engagent déjà des volontaires pour poursuivre la bataille vers Le Bourget. La guerre continue. Mais le monde entier sait désormais que de Gaulle est entré dans sa capitale libérée, après quatre ans d'absence.

Aucun commentaire n'a encore été ajouté !
 

Ajouter un commentaire









Commentaire :








Votre adresse IP sera enregistrée pour des raisons de sécurité.
 

La discussion continue ailleurs...

Pour faire un rétrolien sur cet article :
http://antharra.cowblog.fr/trackback/2840822

 

<< Page précédente | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | Page suivante >>

Créer un podcast